J'ai! J'ai! J'ai pas...
Je joue avec la cuillère posée dans mon bol. Assise au bar, dans la cuisine. Je ne sais pas où est papa. C'est souvent juste lui et moi. Mais il a souvent besoin d'être tout seul. Il croit que je ne sais pas pourquoi il veut être tout seul, mais moi, j'suis pas conne hein. J'ai beau avoir que quatre ans, je sais qu'il pleure des fois mon papa. Mais c'est le meilleur. Il est parfait, mon papa. Il est humain, c'est tout. Alors c'est moi que je dois être la plus forte. Moi, je pleure jamais. Même quand maman elle s'en va. Elle reste jamais longtemps à la maison. Il parait que sa maladie, elle est très grave et que les docteurs, ils peuvent rien zy faire, mais qu'ils essaient quand même. Papa, il m'a dit qu'il fallait jamais perdre l'espoir mais je crois qu'il le disait pour lui. Parce que moi, je perds jamais l'espoir, moi. Ma maman, je la vois pas souvent, mais j'ai confiance dans les médecins. Ma maman, elle dit que les médecins ils servent juste à lui rendre la fin moins pénible, qu'il faut qu'on l'accepte papa et moi que bientôt elle sera plus là. Moi, je veux bien accepter ce qu'elle veut, si ça la rend heureuse.
« Mange tes céréales au lieu de jouer avec... » Et voilà, papa il a encore débarqué sans que je le vois. Ca marche plus comme quand j'étais bébé et que je croyais qu'il avait disparu quand il mettait ses mains devant ses yeux, mais il est trop fort pour passer inaperçu. Je lui fais un grand sourire, parce que je suis contente de le voir mon papa. Et je mange mes céréales avec entrain. Parce qu'elles sont bonnes mes céréales. Il achète toujours mes préférées. Même si elles sont toutes roses, pleines de colorants et mauvaises pour la santé, comme il dit tout le temps. Je crois que mon papa, il a peur pour ma santé à cause du truc que maman elle a. Il veut pas que moi je l'abandonne en plus. Mais moi, je risque rien. Je mange des céréales roses, ça me rend invincible. C'est ça qui va me transformer en super-héroïne. Parce que j'ai pas envie de me faire mordre par une araignée. J'aime pas les araignées, ça a l'air sale.
« Diiiiiis... Papaaaaaaaa... » Il me regarde en souriant. Je vois bien qu'il a pleuré avant, mais je l'amuse. Moi, je sers à lui changer les idées à mon papa. C'est bien, parce que je lui ressemble à lui, et que je ressemble pas du tout à ma maman. Du coup, je lui fais pas penser à elle dès qu'il me regarde. Tout le monde il le dit qu'on est des portraits tout crachés tout pareils. Moi j'trouve ça trop cool parce qu'il est beau mon papa. Moi aussi j'veux être grand et beau et fort. C'est mieux que d'être malade comme maman.
« Tu m'emmène encore jouer au baseball aujourd'hui? Et après on fera du piano? » Il lève les yeux au ciel, comme si il réfléchissait. Je sais qu'il fait semblant, il peut pas me dire non de toute façon. Et puis c'est samedi, il travaille pas. Et puis de toute façon, c'est le patron mon papa, il travaille que si il veut! Et il gagne plein d'argent quand même!
« J'ai une meilleure idée! Qu'est-ce que tu dis qu'on aille t'acheter un harmonica rien que pour toi et que je t'apprenne à en jouer! » J'écarquille les yeux. L'harmonica, c'est trop beau quand mon papa il en joue! Le piano, il m'apprend aussi, mais c'est trop normal. Ma maman, elle a essayé de m'apprendre la guitare, mais c'est trop grand. Alors je joue sur un ukulélé. C'est pas facile de tout retenir le fonctionnement, et puis mes mains elles m'écoutent pas toujours ce que je leur dis qu'elles doivent faire. Mais un harmonica, c'est trop joli le son! J'acquiesce avec vigueur et manque de tomber de ma chaise tellement je suis énergique.
« Fini tes céréales avant. » Et il rigole alors que je commence à mettre des tonnes de céréales dans ma bouche. Mais il faut que je me dépêche, après, j'aurais un harmonica! Juste pour moi! Et puis je suis sûre que je serais meilleure à l'harmonica qu'au baseball. J'essaie de bien faire, mais même quand mon papa vise mon gant, je trouve toujours un moyen de me prendre la balle dans la tête. J'suis maudite du visage, j'arrive pas à attraper les choses. Et quand je lance la balle, c'est encore pire, une fois sur deux, elle part derrière moi. Papa, il aime bien jouer avec moi quand même parce qu'il rigole toujours beaucoup. Moi, c'est parce qu'il rigole que j'aime beaucoup jouer au baseball.
J'ai essayé de cuisiner une fois... mais les pompiers sont arrivés pour éteindre le feu dix minutes après.
« CODYYYYYYYYYY!!! » Cody, c'est mon voisin. Je l'appelle toujours en criant. Pas qu'il soit sourd, mais il écoute jamais rien. Je préfère m'assurer qu'il suive bien mes ordres. Je passe mon nez par la fenêtre.
« TU PRENDS DES PÉTALES DE ROSES QUI SONT PAS ABIMÉES HEIN!!! » C'est pour la fête des pères, j'fais un cadeau spécial pour mon papa. J'suis cuisine un gâteau avec plein de choses qu'il aime. Il est allé faire une partie de soccer avec ses amis du travail, et après, il rentre. Et quand il rentrera, mon cadeau il sera prêt. Cody, il m'aide pour que j'aille pas trop vite. Cody et moi, on a le même age et on va à l'école ensemble depuis le primaire. Cette année, on est en sixième. Il m'aide pour mes maths et j'lui apprends à jouer de la flûte. C'est trop facile, mais les gens ils sont trop nuls. Alors j'ai toujours des bonnes notes en musique. Mais vu qu'on est tous les deux novices en cuisine, là, on improvise. J'y ai mis un peu de whisky, parce que mon papa, il aime son whisky. Un peu de journal émietté. Pas trop, sinon, ça va devenir pâteux, comme quand on mange du papier. Et du coup, il aime bien les roses, ça lui rappelle maman. Il dit qu'elle aimait bien les roses. Moi, je me souviens pas vraiment d'elle, mais je le crois sur parole. Alors on va mettre des pétales. Pas des roses entières, ça ferait trop, et puis les épines, ce serait dangereux. Après, j'ai rajouté de la farine, du sucre, et des oeufs dans le plats. Pour l'instant, je fais revenir dans la casserole le whisky et le journal. Cody arrive et il rajoute les petales. Cool. Maintenant, le chocolat... Parce que le chocolat, tout le monde aime, quand même. Tout est meilleur avec du chocolat. Et voilà. Quand tout et fondu, je fais couler le contenu de la casserole dans le plat avec le reste de la pâte et hop! Au four! Je sais pas trop combien de temps. Une heure? Pas trop fort et une heure, c'est très bien. Pour pas bruler trop les pétales.
« Bon, tu viens faire la musique pour mon papa avec moi? » C'était le deal. Je l'aide à faire un morceau de musique pour son papa, et lui, il m'assiste pour le gâteau. Un aller-retour chez lui, ça sera vite fait.
Mais je crois que je n'aurais pas du. Quand je rentre, il y a papa qui m'attend et il a pas l'air trop heureux. Je crois même que ce froncement de sourcil signifie qu'il est fâché. Il est pas souvent fâché pourtant papa...
« Salut Suzy. » Je lui adresse un sourire innocent.
« Bonne fête papaaaaaaa... » « Merci, mais tu me l'as déjà dit quinze fois ce matin. J'peux savoir pourquoi de la fumée noire sortait du four quand je suis rentré? Un peu plus et l'alarme incendie se déclenchait... » « Yaurait eu les pompiers et tout? » Ce serait tellement trop la classe!
« MADEMOISELLE FITZGERALD. » Il hausse le ton et m'appelle comme ça quand il faut que je me concentre. Inutile de partir sur un délire de pompier. Alarme incendie et fumée noire. Apparemment, c'est mauvais signe. Soudain je réalise. Fumée noire...
« MINCE! MON GATEAU! T'as trouvé mon gateau? tu l'as sauvé? » Il me regarde un instant, intrigué.
« Non, il est partit en fumée noire, c'est ça? Oh non! Mon gateau! C'était le cadeau que j'avais prévu de te faire!! » Il a l'air d'hésiter, mais moi, j'ai envie de pleurer. Mon papa, c'est le meilleur du monde, mais il a pas de cadeau pour la fête des papas, j'suis trop nulle. Je pleurerais pas, je peux pas lui faire ça en plus. Je tords mes mains dans tous les sens. Réfléchis Suzy, réfléchis!
« J'peux te dessiner un gateau! Je reviens! » Et je me dirige en courant vers les escaliers. Mais il m'attrape avant que j'ai eu le temps de m'enfuir. Quoi? Il veut pas de dessins?
« Tu préfères que je fasse une chanson? Mais j'ai rien revu moi... Ça va pas être très joli... » « Le cadeau qui me comblerait serait que tu me promettes que tu ne toucheras plus jamais à quoi que ce soit dans cette cuisine, que tu n'essaieras plus de cuisiner. » Je le regarde d'un air surpris. Vraiment? Ca lui suffit? Il est pas exigent mon papa...
« C'est trop naze comme cadeau... Mais si ça te plait, ça marche... Mais du coup, j'ai rien prévu à manger, je pensais qu'on aurait le gâteau et... » « Pas grave, on ira au restaurant, et quand on rentrera, tu me nettoieras tout le bazar que t'as mis dans la cuisine. Je ne veux plus voir la moindre crasse. » Ah, zut. Le ménage... J'acquiesce vaguement. Il oubliera peut-être après le restaurant. Peut-être. Oui, je suis trop optimiste, mais j'y peux rien. C'est la faute à papa ça. Il a toujours des espoirs trop bêtes qui servent à rien. Mais c'est comme ça que je l'aime mon papa. Surtout quand il m'emmène au restaurant et qu'il croit que je vais vraiment récurer la cuisine en rentrant! Je crois qu'il fait semblant d'être naïf... Et moi, j'en profite.
Ya des gens, ils disent que je suis bizarre, mais au final, si tout le monde est bizarre, ça doit vouloir dire que je suis normale.
« Mais de toute façon, t'es pas normale comme fille. » Je la regarde deux secondes, totalement abasourdie, avant d'éclater de rire. Elle a découvert ça où que j'étais pas normal. Il a sûrement fallu qu'on le lui dise pour qu'elle réalise. De toute évidence, elle n'aime pas que je rigole. J'aimerais bien répondre, quelque chose... Mais... Si j'essayais de vous le retranscrire, ça donnerait :
« T'es... MWAHAHAHA! Je suis pwAHAHA! AAAAh! NORMALE?! AAAAAH! Mais t'es... T'es... » S'en suis un fou-rire et c'est Cody qui vient me taper dans le dos. Quand je rigole, il a toujours peur que je m'étouffe, que j'oublie de reprendre mon souffle. Ah, Cody.
« C'est vrai, t'es qu'une gouine! » Si les gens qui nous entourent écarquillent les yeux, ça ne m'arrête pas dans mon fou-rire. C'est parti, ça va faire le tour de l'école maintenant. Mais qu'est-ce que je m'en fiche qu'on me prenne pour une lesbienne. Je le suis presque après tout. Quand j'arrive enfin à arrêter de glousser, je renifle et m'essuie les yeux avec la grâce dont je fais toujours preuve. Aucune en somme, mais c'est comme ça qu'on m'aime.
« Nan, mais ouais, je suis bizarre. Et au moins je m'assume moi, je prétends pas que je n'embrasse ma meilleure copine que pour m'"entrainer". » Ouais, parce qu'on était pas mal amie avant, elle et moi. Jusqu'à ce qu'il y ai le drame. Que je me trouve trop d'amis et qu'elle ne supporte plus de ne pas être le centre de l'attention de tout le monde. Je l'aime bien, mais j'ai du mal avec sa manie de vouloir me rabaisser. Je me disais qu'être lesbienne à Goulburn ne serait pas facile mais finir avec la nana qui balance le plus de ragots n'était surement pas la meilleure idée pour garder tout ça secret.
« Mais elle peut pas être lesbienne, on est sortis ensemble... » Tiens, super-Cody à la rescousse. J'ai l'impression qu'on joue un feuilleton de merde devant mes autres potes.
« Et voilà, je ne suis plus lesbienne, affaire réglée. On peut passer à autre chose s'il vous plaît? Parce que de toute façon, je couche pas avant le mariage, alors je saurais pas ce que je suis avant le grand jour, non? » Et voilà, faire rire les gens, détendre l'atmosphère. Je sais pas bien pourquoi ils rigolent, j'suis pas vraiment drôle comme fille, juste conne quand je m'y mets. Je crois que le fait que j'ai de l'argent, que je sois populaire, me permet d'avoir un bon public. Trop facile. Au moins, Cody, il est honnête et il me regarde comme un con. C'est ça, son charme à Cody, sa tête d'abruti. Mais on s'en fout de lui au final, c'était juste mon premier petit copain, et on s'est bien amusé. Et non, je n'ai pas couché avec. Je vous le dis, j'attends le mariage. En fait, pas du tout, c'est la première excuse moisie qui m'est venue à l'esprit quand j'ai voulu dire non à un mec et elle est restée depuis. C'est juste que jusqu'ici, je ne me suis pas senti de le faire. Pour l'instant. Ouais, j'ai seize ans et je suis vierge. Et alors? Je prends mon temps, c'est tout! Alors forcément, ça fait rire. Cody se fout de ma gueule parce qu'il croit que j'attends la bonne personne, mais c'est totalement différent. Je m'en fous que ce soit la bonne personne ou pas. Je veux juste en avoir envie, je crois bien que ce n'est pas trop demander. Et puis, j'suis sûre que si mon père savait, il serait fière d'avoir une petite fille aussi respectable. Même s'il en sait rien. J'vais pas lui dire à qui je montre mes fesses quand même!
Moi, si je devais résumer ma vie aujourd'hui avec vous, je dirais que c'est d'abord des rencontres, des gens qui m'ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j'étais seul chez moi...
J'attrape mon sac, et je vais poser un baiser retentissant sur la joue de mon paternel qui est en train de lire son journal devant un film quelconque. Un western apparemment. Le genre de film qu'il a déjà vu cent fois et qu'il aime avoir en fond sonore.
« Tu sors encore?! » Il me regarde de haut en bas.
« Et dans cette tenue?! ». Une petite robe noire. Surement trop décolletée. Surement trop courte. Mais j'ai dix-huit ans.
« Oh papa, mon petit papounet d'amour... Tu ne vas pas jouer au vieux ronchon d'un autre siècle. Ne t'inquiètes pas, ta fille chérie à un spray au poivre dans son sac en cas de mauvaise rencontre et Clémentine sera là pour me protéger! » « C'est Clémentine la mauvaise rencontre... » Il bougonne dans sa barbe, mais je l'ai clairement entendu. Je rigole doucement et pose un nouveau bisou humide sur sa joue.
« Ne t'inquiètes pas pour ta fillette te dis-je, je vais toujours bien! » C'est la stricte vérité. Je lui lance un clin d’œil et m'esquive avant qu'il n'ai le temps de me retenir. Enfin, il ne joue que son rôle de père, je ne peux clairement pas lui en vouloir pour ça. Tant que je peux quand même rejoindre Clem. Ma Blondie. Papa est persuadé que c'est elle la mauvaise rencontre, parce que je l'ai rencontrée au bon moment. J'avais seize ans et envie de m'amuser. Envie de sortir et de faire la fête. Elle était en cours avec moi et elle cherchait la même chose : quelqu'un de cool avec qui rigoler en cours. Que dire d'autre? Nous nous sommes trouvées, c'était le destin. Ou un truc du genre. Et ce soir, on va fêter les dix-huit ans d'un gus quelconque qu'on connait vaguement. Mais c'est pas l'important, l'important, c'est qu'on est invitée parce qu'on est toujours invitées, et que ça va être top. Alcool à foison, et plein de gens que je ne connais pas à aller faire chier. Des gens à découvrir, c'est toujours drôle, ça signifie de nouvelles filles à draguer. Et de nouveaux mecs à envoyer chier. Certes, ce n'est que Goulburn. on a vite fait de connaître la moitié de la population. Ça n'est pas magnifique, mais ça vaut le coup d’œil. Et puis, tant qu'il y a Blondie pour m'attendre devant chez moi. Je m'accroche à son bras, mon éternel cavalier. J'ai l'impression de ne jamais avoir fait de soirée sans elle. Sûrement parce qu'avant mes 16ans, les "boums", c'était pas vraiment des soirées.
« T'as les réserves? » Elle me fait un clin d’œil pour seule réponse. Évidemment qu'elle les a.
« Désolée de t'avoir fait attendre dans le froid! » Elle hausse les épaules.
« Ton père a peur que sa fillette adorée ai trouvé en moi la femme de sa vie, il risque de ne jamais avoir de petits enfants. Il s'en remettra un jour. » J'ai jamais vraiment vu les choses comme ça. Je ne sais pas trop comment je les vois, et je m'en fous. Certes, Clem est la femme de ma vie, la seule que je ne quitterais jamais. Ne pas avoir couché avec y est peut-être pour quelque chose, mais c'était pas dans mes plans de toute façon. Mais si mon père veut, je peux toujours l'adopter avec elle, le gosse hein.
« S'il pense à ses petits enfants alors que j'ai dix-huit ans, il voit loin hein! Surtout que je couche pas avant le mariage! » Et on rigole comme des débiles. Ça m'est resté cette réplique, même après avoir couché avec des tas de filles et quelques mecs. Pas qu'il y ai des tonnes de filles lesbiennes à Goulburn, j'ai juste eu la chance d'être là pendant cette prétendue "période", où elles se cherchent. La blague. Clem m'emmerde en me disant que c'est moi qui suis trop nulle et leur fait préférer les mecs. J'pense qu'elles sont pas bien dans leur tête moi. Parce que je suis un coup d'enfer. Si si si. Si vous ne croyez pas, j'vous fait tester quand vous voulez.
« Bon, alors, combien de fille vas-tu réussir à convaincre de passer la fin de la soirée avec toi? » On en est déjà là? Au pari? Alors que je ne sais même pas combien il y a de filles là-bas? Je sens le piège... Mais j'aime vivre dangereusement, je vous l'ai déjà dit, non?
« Sept. Je parie le droit de voir ton frère quand je passe chez toi la prochaine fois, rien que pour pouvoir le taquiner. » Ah, le frère de Clem, faudra que je vous en reparle. Ce garçon, c'est un miracle. Blondie fronce les sourcils. Elle a peur que je le traumatise à force de lui faire des avances. Mais elle finit par accepter.
« Pas plus de trois, et si tu perds, interdiction d'emmerder mon frère pendant deux mois. » Ah, j'aime quand elle me sous-estime. Je scelle notre accord d'un clin d’œil. On y est arrivée, il ne reste plus qu'à se mettre dans l'ambiance.
- Tu sers à rien
- Je sais, mais c'est là tout l'intérêt, ya que les objets qui servent à quelque chose.
« MADEMOISELLE FITZGERALD! » J'allais m'enfuir comme un fourbe pour un nouvel après-midi de folie avec Blondie et le reste de la bande de demeurés qui nous servent d'amis. Que voulez-vous, c'est l'hiver, il neige, et on est assez cons pour s'amuser tous les jours à se faire des batailles de boules de neige de folie. Mais je crois que le paternel n'est pas favorable à l'idée que je m'esquive en douce. Je crois que le paternel a quelque chose à me dire et cette lettre qu'il agite sous mon nez ne promet rien de bon. Je sais très bien ce qu'elle contient. Ya le tampon de la fac sur le devant. Je le vois se dandiner alors que papa secoue la lettre avec son air fâché. Il l'a de plus en plus souvent cet air fâché. Je crois qu'il préférait sa fillette quand elle avait 6ans, qu'elle souriait tout le temps et n'avait d'yeux que pour lui. Je peux pas lui en vouloir pour ça, c'est normal quand on est un papa. Il n'a personne d'autre que moi pour l'aimer, alors il a sûrement peur que je ne l'aime plus. Mais là, il doit plutôt m'en vouloir pour avoir craqué mon premier semestre. Les premières années s'étaient bien passées pourtant, c'était facile de faire une licence de musique. Faut croire que ça pouvait pas rester facile pour toujours. Quelle idée de faire une vrai école de musique. Elle est nulle en plus celle de Goulburn. Du coup, j'vais même pas aux cours et je vais plutôt m'éclater avec mes potes.
« Comment ça se fait? » J'voudrais bien avoir quelque chose de crédible à lui dire, mais au final, je trouve rien.
« J'suis pas allée à la moitié des cours, mais je repasserais tout ça au rattrapage! » Ouais, j'aurais rien au rattrapage, mais il a pas vraiment besoin de le savoir, mon paternel.
« Et tu fais quoi au lieu d'aller en cours, tu traîne avec ta satanée Clémentine, je parie? » Je hausse les épaules. Mon père a quelque chose contre Blondie. Il est persuadé que tout est de sa faute. Tout, absolument tout. La faim dans le monde et le Sida aussi, tant qu'on y est.
« Réponds. » « Quand je traînais avec Cody, tu ne l'accusais pas pour chacun de mes écarts. » Je regarde mon père dans les yeux, sans ciller. Il ne s'agit pas vraiment de défendre Clem, mais surtout d'essayer de lui faire comprendre que j'ai une cervelle et que mes choix, je les fais seule. Si Blondie m'influence, c'est que je le veux bien. Et même qu'elle essaie parfois de me freiner. Non, Blondie n'est pas le problème, loin de là.
« Tu étais avec elle ou pas? » « Tu le sais très bien. » Il me regarde d'un air dur. Il veut insister, mais il sait que je suis aussi chiante que lui, son portrait craché. Et il abandonne en soupirant d'un air désespéré.
« Tu fais n'importe quoi Suzy, qu'est-ce que je peux faire pour te faire comprendre que ton avenir compte plus que cette fille? » Je pourrais lui répondre d'un air enflammé que cette fille c'est mon avenir, mais il me claquerait dans les bras. Et puis, j'crois que mon avenir, j'en ai juste rien à foutre.
« Mais si tu le comprends pas, c'est pas grave. Aux grands maux, les grands remèdes. L'année prochaine, si tu ne valides pas cette année, tu iras dans une autre école. Pas ici, pas à Goulburn. Loin de cette fille. » Il croit vraiment ce qu'il dit?
« J'aurais mon année. » Moi, je n'y crois pas du tout, mais faut bien faire semblant. Si je suis assez convaincante, il oubliera de m'inscrire dans une autre école et j'aurais pas d'autre choix que de refaire une nouvelle année ici. Parce que partir loin de Goulburn, ça me ferait bien chier. Pas que ce soit une ville fantastique, mais j'ai pas l'intention de me retrouver seule loin d'ici. Tous mes potes sont ici. Clem, et les autres. Même Cody n'a jamais quitté Goulburn, personne ne quitte jamais Goulburn, même si on devrait tous. Ici, je connais les bars, je connais les filles... Et puis, mine de rien, j'aime vivre comme je vis. J'ai beau dire que j'aime le danger, j'aime bien le connaître, le danger en question. Et le danger, à Goulburn, yen a pas vraiment. J'suis habituée. Une nouvelle ville, c'est trop d'habitudes à prendre... Courage Suzette, ton père fait que de te menacer, c'est rien! Cody ira le raisonner.
J'ai jamais demandé de nouveau départ dans la vie, on m'a juste forcé à redémarrer. J'aurais préférer caler.
« Alors c'est sûr? » J'attrape le joint qu'elle me tend. Mine de rien, j'ai la gorge nouée. J'aurais pu passer cette soirée à fêter mon échec scolaire. Ça ne m'aurait pas déranger, mais j'ai pas le cœur à la fête. Profiter de mes derniers instant à Goulburn? J'ai tout l'été pour ça. Je pars pas tout de suite non plus. Dans l'immédiat, je dois surtout digérer le fait que je parte. Alors ce soir, c'est moi et Clem. J'ai vu Cody cet aprèm, mais sa tête d'endive n'a pas suffit à me remonter le moral. Donc ce soir, bière et pizza devant un blockbuster. En fumant un joint. Une soirée posée en somme.
« Ouais, mon père a été plus fort que je ne l'imaginais. Il vire sa petite fille adorée de chez lui... » « Elle est où ton école alors? » « Wollongong... » Rien que le nom de cette ville, c'est une blague. Au moins, notre ville à nous, elle a le même nom que la Marilyn. Je soupire et tire une bouffée avant de rendre le cône à Blondie. Ma parfaite Blondie. Elle au moins, elle peut rester ici. Et elle va reste, je le sais, elle ne va pas abandonner le mini-elle tout seul ici. D'autant que ce serait con tout de même, mon père qui m'envoie à perpèt' mais moi qui joue à la conne et ramène Clem avec moi? Je crois qu'il s'énerverait vraiment pour le coup. Elle hausse les épaules.
« Ca doit avoir son charme... Et pourquoi il a choisit cette ville-là? » « L'école le prévient si je loupe trop de cours sans justifier... Et il paraît que c'est une ville dont l'ambiance m'incitera à m'investir dans mes études. Je le cite, évidemment. » Elle me sourit. Elle sait très bien qu'aucune ville ne me poussera à m'investir dans mes études si je me fais chier. Ce sont les cours qui me motiveront ou pas. La preuve, la fac, c'était passionnant et j'ai réussi comme un chef. Sans aucun problème. C'était facile en plus!
« J'ai aussi réussi à obtenir une garanti de surface habitable généreuse pour mon appartement et qu'il m'achète tous les instruments que je voudrais. » On rigole. Ouais, s'il m'exile, je peux quand même négocier certains termes du contrat. Et j'ai toujours d'excellents arguments, convaincre mon père des pires conneries, c'est mon talent.
« Si ya de la place, je pourrais passer te voir! » Je lui souris, un peu triste. Elle n'aura plus de raison de passer me voir. Elle passera à autre chose et voilà tout. C'est bien triste, je vous l'accorde, mais c'est la vie. On doit faire avec les choses, et oublier. Évidemment, moi, je ne peux pas oublier Goulburn. Goulburn, c'est mon enfance. Et puis mon père y vivra toujours. J'espère tout de même qu'il profitera de mon absence pour se trouver une nouvelle gentille petite femme, le cochon. Je ne serais plus là pour mériter toute son attention, il faudra qu'il trouve quelqu'un d'autre à inviter au restaurant quand il crève d'envie de se payer un restaurant.
« Tu feras attention à Cody pendant mon absence, si je suis plus là pour lui pourrir la vie, il va se ramollir. » On se regarde un instant, elle me tend de nouveau le joint et s'attrape une part de pizza.
« Franchement, il est moche ce batman. » Elle m'arrache un léger rire.
« Ce costume est tellement mal fait. Et Robin est ridicule! Il est tellement mieux dans le dessin animé... » J'acquiesce avec vigueur et m'attrape une part de pizza à mon tour que j'enfourne dans ma bouche.
« Le pire, ça reste Poison Ivy. Comment ils ont pu la faire tellement peu charismatique! Elle devrait être juste splendide! » Ouais, on est là pour critiquer ce film, on va se faire plaisir. Pas la peine de penser à l'année prochaine, on aura tout le temps d'y penser quand je serais partie pour Wollongong.
- TU ES L'ELUE!
- Bah j'sais pas qui a voté pour moi, mais il devait être vraiment pas bien dans sa tête...
Assise sur la table, au milieu de la fac, des tas de partitions autour de moi avec des cailloux pour les retenir. L'avantage à Wollongong, c'est que je suis toute seule, j'ai vraiment tout mon temps à consacrer à la musique. Bon, j'avoue que je prends quand même un peu de temps pour moi, entre les jeux vidéos en ligne et les soirées à draguer. Mais à la fac, j'y vais tous les jours, je suis bien les cours et pendant mes pauses, j'fais presque mes devoirs. Presque. Parce que je préfère composer pour moi-même, c'est plus intéressant que de faire un truc sur mesure pour un prof qui ne reconnaîtra même pas mon talent et qui passera aussi vite à autre chose. J'veux pas que mes partitions partent à la poubelle. Non, j'ai pas trop d'ego, juste un peu d'amour propre, et ça fait pas de mal. D'abord. Alors j'alterne entre la guitare et l'harmonica. J'emmène facilement ma guitare avec moi, même si ça fait un peu hippie, c'est plus facile à transporter qu'un piano et c'est plus facile de composer sur une guitare que sur un violon ou une flûte à bec. Essayez, vous verrez. Le stylo dans la bouche, j'essaie quelques accords, je m'arrête pour les noter. Une heure que je fais ça, et je me rends compte que je vais finir par être à la bourre à mon cours quand une fille de ma classe passe à côté de moi.
« ATTENDS MOI AMY! » Pas envie d'être la seule en retard, et pour une fois que je connais le nom de quelqu'un... Un peu trop propre sur elle, mais marrante quand on discute. Ouais, une bonne camarade de classe en somme, même si je ferais pas ma vie avec. Elle s'arrête et m'adresse un sourire avant de me rejoindre pour m'aider à ranger mes feuilles de partitions qui traînent un peu partout.
« Tu devrais proposer aux groupes locaux de composer pour eux, tu rencontrerais surement des gens à te plaire dans le tas. » Ouais, Amy est au courant de mon problème d'intégration. Amy est parfaite. Amy est gentille mais Amy est hétéro et n'aime pas s'amuser. Amy, je la croise sur les parties en ligne de starcraf ou LoL. Mais bref, c'est une autre histoire. Au moins, j'peux parler à quelqu'un quand je m'emmerde vraiment, je ne devrais pas me plaindre.
« Je pourrais essayer, effectivement. » A dire vrai, je n'y avais pas pensé. Parce que j'ai pas trop fait attention à quel type de groupe yavait dans le coin, mais je vais faire un effort et tenter de me pencher sur la question. Brave petite Amy, elle a de bonnes idées.
« Et tu devrais t'inquiéter aussi, ya ce gars qui te reluque en permanence. » Mignonne petite Amy, comme si j'étais pas habituée aux tordus. J'en ai fréquenté des tordus. JE suis une tordue. Je me retourne quand même pour croiser le regard d'un jeune homme. Ouais, il est pas moche. Je l'ai déjà vu, j'ai déjà croisé son regard, je pourrais le jurer... J'irais bien lui demander son nom et son numéro de téléphone, mais en vrai, j'ai vraiment pas le temps. Oui, un nom va toujours avec un numéro de téléphone, sachez-le. Mais un autre jour. Un autre jour, j'irais. Je l'ai déjà croisé, s'il est à la fac, je le recroiserais forcément. Le hasard fait souvent bien les choses après tout.
« T'inquiètes pas pour lui, j'irais lui régler son compte un de ces quatre! » Je balance ma guitare dans son étui, l'étui sur mon dos, l'harmonica dans ma poche et je récupère mes feuilles dans les mains d'Amy.
« Allons-y Alonzo! On va être en retard sinon! » Quand ta vie commence à trop ressembler à un feuilleton télé, tu te demandes toujours quand est-ce que t'as signé pour un scénar merdique.
Je bouffe un saladier de pâtes, assise rageusement devant mon ordi. Amy, de l'autre côté de l'internet, se sent l'obligation de prendre de mes nouvelles.
« Tu as la pneumonie parce que l'autre idiot t'as jetée dans la fontaine? » Je lève les yeux au ciel et ravale une cuillère à soupe de coquillettes au beurre. Oui, j'ai déjà fait pire, mais les quinze joints que je me suis enfilés hier ne sont pas du genre à me donner envie de cuisiner aujourd'hui. Bon, j'exagère peut-être un peu les chiffres, mais ce n'était pas l'heure, ni le moment. Enfin, des fois, quand je m'ennuie, la Marie-Jeanne est mon amie. Si je passe pour une droguée? C'est environ le cadet de mes soucis. Je suis déjà une droguée aux yeux de la quasi-totalité des gens que je fréquente. Seuls ceux qui ne me fuient pas valent le coup d'être connus, voilà tout!
« Tu t'es pas remise qu'il t'ai emmerdé au restaurant hier soir, c'est ça? » Fasse à mon silence impassible, Amy s'évertue de m'arracher une réponse. Un vrai ange celle-là! Bon, elle mérite peut-être que j'arrête de me baffrer deux secondes pour lui répondre.
« Nchon. Mchai 'ranch'ent... » « Je comprends rien quand tu parles la bouche pleine Suzy... » Mince. Je finis calmement de mâcher mes pâtes avant de reprendre.
« Tu sais le temps qu'il m'avait fallu pour arracher un rendez-vous à Miss Daisy?! » Non la blonde de mon rendez-vous d'hier n'était pas ma blonde préférée. Juste une fille que je m'étais jurée de mettre dans mon lit. J'entends Amy soupirer de l'autre côté du micro.
« Et ce petit péqu'naud et son accent de bourge croit qu'il peut débarquer, me pourrir mon rencard et ne pas m'indemniser de ma soirée en me laissant l'emmerder?! » Elle laisse filer. Au fond, elle voulait juste savoir qu'est-ce qui pouvait bien emmerder Suzy l'éternelle chieuse, celle qui ne se laisse jamais dépasser par les événements.
« Je pensais pas qu'un jour, je verrais un mec te mettre dans cet état. » Je sens clairement la moquerie dans sa voix et décide qu'aujourd'hui, les coquillettes seront certainement mes seules amies.
« Roh! Suzy! Tu vas pas bouder toute la journée!! » Face à mon nouveau silence, je l'entends rigoler doucement.
« Tu ne me paraissais pas le type de meuf à aller s'emmerder avec un mec relou, mais maintenant que tu m'y fais penser... » « Si tu veux que je continue à t'aider pour les études sur Schubert, t'as pas intérêt à continuer ta phrase ma poule. » Et la voilà qui se marre.
« Allez Suzy! Je te laisse à ton grand désarroi. Certaines personnes ici ont encore une vie sociale en plus de leur vie de couple. » Et la garce se dépêche de couper court à la conversation avant que j'ai pu l'insulter. Elle prend un peu trop ses aises la petite, faudrait pas commencer à croire que Suzy la chieuse professionnelle n'est plus aussi impressionnante que ce qu'elle a pu être. Ce british bizarre ne va pas me ruiner ma réputation. Lui et son accent n'ont qu'à bien se tenir, parce que je vais lui faire comprendre ce que c'est la vie. Et je vais même m'y mettre tout de suite!! ... Une fois que j'aurais fini ce saladier de pâtes.